


« Je me demande ce qui est le pire: ne pas savoir qui l’on est et être heureux, ou devenir qui l’on a toujours voulu être et se sentir seul.» Daniel Keyes
Algernon est une souris qui vient de subir une opération visant à multiplier par trois son QI. Enhardis par cette réussite, les docteurs Nemur et Strauss tentent d’appliquer leur découverte à Charlie Gordon un simple d’esprit.C’est bientôt l’extraordinaire éveil de l’intelligence pour le jeune homme. Mais jusqu’où cette ascension va-t-elle le mener ?…
« Si je fais vraiment des efforts et que je deviens intelligent à la fin du semestre, est-ce que vous me mettrez dans une classe normale ? Je veux devenir intelligent. »
C’est dans son autobiographie Algernon, Charlie et moi que Daniel Keyes nous livre son échange avec un élève de sa classe d’anglais simplifié à Brooklyn, conscient malgré son retard mental de ses limites, et désireux d’intégrer la « classe supérieure ». Ainsi naît Charlie
Gordon, simple d’esprit et cobaye volontaire d’une expérience médicale visant à tripler son QI, illustrant l’aspiration de tout un chacun de s’élever, de gravir les échelons d’une société qui hiérarchise la valeur humaine selon des critères d’intelligence et de réussite.
Charlie simple d’esprit a un emploi, des amis, du moins il pense avoir des amis, il apprend à lire et à écrire, il a un cœur innocent et bienveillant envers tous ceux qui l’entourent, mais voilà, il est prêt à tout sacrifier pour rentrer dans la norme et satisfaire le désir universel d’aspirer à « plus ». Seulement plus intelligent, il prend conscience de la noirceur de l’humanité, du véritable visage de ses soi-disant amis ; très intelligent il se retrouve confronté aux limites des autres et n’arrive plus à communiquer, s’isolant chaque jour un peu plus.
Cette nouvelle bouleversante nous immerge dans les méandres de l’esprit humain, et nous pousse à nous interroger sur nos véritables aspirations. Le bonheur ne se quantifie pas, il n’y a pas de Quotient Bonheur, et pourtant… À toujours vouloir plus, n’oublie-t-on pas d’apprécier ce que nous avons ? À toujours juger les autres n’oublie-t-on pas de faire avant tout preuve d’intelligence du cœur ?
Il nous tenait à cœur de concevoir un spectacle sur ce chef d’œuvre de la littérature contemporaine, et nous nous sommes pour cela entourés de deux artistes exceptionnels, William Mesguich, metteur en scène et comédien, et Jean-Christophe Marti, compositeur, qui mettent leur sensibilité au service du récit de Charlie Gordon. Quatre artistes réunis pour décupler la force dramatique de la nouvelle de Daniel Keyes, et chanter à travers des mots et des notes un hymne à la tolérance et à l’acceptation de nos différences.
Charlie Gordon est l’Humanité, dans toute sa diversité, et dont l’imperfection, est peut-être ce qui la rend exceptionnelle…
Amélie Stillitano & Raphaël Simon
Des Fleurs pour Algernon est un texte fort, fulgurant. Une déflagration morale, une tentative de raconter ce qu’est la nature humaine quand elle est abîmée, bafouée par la volonté et la folie scientifiques. C’est une écriture troublante qui met en lumière la frénésie des hommes à vouloir changer le cours de la vie d’un être fragile, déficient mentalement, par une prise de risque liée à la soif irrépressible de progrès. Peut-on médicalement accroître l’intelligence ?
A-t-on le droit de repousser les limites scientifiques en sacrifiant un être humain?
Des Fleurs pour Algernon interroge la conscience de chacun, nous met en face de nos interrogations face à la nature de l’homme. C’est aussi un morceau de bravoure poétique. Le « cobaye » raconte sa pensée intime à travers une sorte de journal, de carnet de bord. Et cela nous touche. L’émotion est d’autant plus forte que nous, lecteurs, auditeurs, savons où tout cela va entraîner cet homme, quand lui ne s’en rend compte qu’au fur et à mesure. Il y a dans ce texte une rage, une violence et aussi de la grâce. Une écriture fragmentée, enfantine qui touche au cœur.
Le métissage de la musique contemporaine, comme une invention insensée et étonnante, et du texte théâtral permettra de faire naître une œuvre rare comme s’il y avait un dialogue entre les deux mondes. Comme si nous pouvions pénétrer intimement dans l’esprit de cet homme chahuté par l’excès médical par les mots, mais aussi les sons, les notes.
Note d'Intention | William MESGUICH | Metteur en scène
Note d'Intention | Jean-Christophe MARTI | Compositeur
Création musicale pour piano nonpareil, percussion et un comédien
Le chef-d’œuvre du romancier américain Daniel Keyes Flowers For Algernon (Des Fleurs pour Algernon) m’apparaît comme une source d’inspiration exceptionnelle pour une création musicale.
Une structure musicale
À cause de son déroulement dramatique tout d’abord : la structure du récit se déploie en trois grands temps, offrant une structure claire dont la musique peut jouer de manière idéale. Le récit commence avec des ébauches de pensées et de sentiments, puis il passe progressivement à un développement des facultés et des idées du héros, Charlie, jusqu’au climax de l’intrigue. Enfin, le versant descendant et le retour progressif à l’obscurité initiale clôt cette structure. Les motifs sonores et musicaux peuvent s’inspirer de cette forme, qui contient par elle-même un équilibre, un suspense continu, des progressions et des contrastes proprement musicaux.
Ensuite, la richesse et la diversité des émotions traversées suggère de jouer avec des registres expressifs particulièrement variés. Il s’agit d’affects intériorisés, néanmoins très intenses. Les angoisses et les espoirs, les éclairs de joie et les accès de mélancolie alternent sans cesse, loin de toute banalité sentimentale : on touche ici à l’originalité profonde du récit de Keyes, à ce qui en fait une œuvre singulière. En épousant un processus psycho-physiologique complexe, l’écriture est loin du romantisme et de tout pathos. La musique doit donc inventer à son tour des modes d’expression originaux, qui ne se réduisent pas à des conventions préétablies.
D’où l’exploration sonore que je me propose de réaliser.
Le dispositif sonore : le duo entre piano nonpareil et percussion
J’ai commencé il y a quelques années un travail d’exploration sonore sur le piano droit, selon un dispositif que j’appelle « piano nonpareil ».
Le piano droit est surélevé de 70 cms environ sur des portants conçus à cet effet, et ses parements sont retirés de manière à ce que l’interprète puisse accéder à un maximum de surfaces sonores, surtout à celles qui sont habituellement dissimulées.Il en résulte un univers sonore extrêmement riche et varié, avec des modes de jeux inventifs qui font naître des palettes de timbres étonnants rejoignant les instruments à cordes pincées, frappées ou frottées, des harmoniques complexes, et également des univers de percussions. Se produisent aussi des timbres insituables que l’on peut prendre pour des sons électroniques ou des bruits concrets.
Ce qui me motive dans la rencontre entre percussions (Raphaël Simon) et piano nonpareil (Amélie Stillitano) est la parenté entre les deux mondes sonores, qui me permettra de jouer sur le trouble, l’illusion sonore, l’ambiguïté et le continu entre les deux univers instrumentaux. Je choisirai donc un nombre limité de percussions, et je croiserai le jeu des deux interprètes.
Déployer une richesse sonore maximale à partir d’une économie de moyens très rigoureuse, me semble une recherche adéquate au récit, dont le héros véritable n’est pas tant la personne de Charlie que son esprit, sa pensée, et l’épreuve du labyrinthe dans lequel il s’engage.
De même la part d’inconnu, d’univers non-référencé a priori, fait écho à l’aventure vécue par Charlie : lequel ne possède en aucune manière le recul d’un narrateur conventionnel, puisqu’il exprime les choses au fur et à mesure qu’il les vit, en direct.
La voix du comédien : musique et sens
La dramaturgie sonore aura comme deuxième axe le rapport entre le son et la voix du comédien qui dira-jouera le texte. Il ne s’agit pas ici d’un simple récitant, décrivant une action que la musique illustrerait. Mais bien d’un comédien, William Mesguich, qui vit et fait vivre au public chaque nuance émotive du texte. Non seulement l’équilibre sonore doit être conçu pour éviter toute « concurrence » acoustique, mais les liens musique-texte nécessitent d’inventer une structure subtile d’équilibre et de contrastes, de jeux entre sons et sens, pour une dramaturgie singulière.
On peut par exemple imaginer des moments ou la musique épouse très finement le « récitatif » de la voix, jusqu’à se faire presque oublier. D’autres moments au contraire où la musique précède et « prophétise » la couleur propre d’un épisode à venir…
Dans cette recherche des rapports instruments-voix, on évitera tout systématisme, en faisant aussi la part du dialogue et de l’ajustement sur le moment même des représentations.»